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Héros du quotidien en temps de guerre




« Les réfugiés ça n’existe pas, il n’y a que des gens emportés par le vent, comme des feuilles mortes par le monde entier », lance oncle Djuka au tout début, depuis la salle du Théâtre Dunois où il est assis, parmi nous. Ça pourrait bien être vous et moi.
Ce qu’il y avait de particulier dans ce conflit, pour nous européens, c’est un principe de reconnaissance immédiate. Des gens qui nous ressemblent. Mêmes vêtements, mêmes voitures, des paysages urbains familiers, un décor presque habituel.

Ce principe d’identification, les adolescents qui viennent voir ce spectacle peuvent le retrouver à travers le jeune Mirad, dont l’inquiétante neutralité est subtilement portée par Robin Francier, mise en valeur par ses comparses dont le jeu plus classique se délie au fil de l’action.

C’est un exercice pédagogique efficace. Aucune surenchère dans les émotions mais « une parole qui témoigne », « une mise en scène sans artifice ». Aucune complaisance ludique avec le spectacle de la guerre tel qu’il peut parfois être véhiculé par le cinéma, ou les jeux vidéos, voire par la mise en scène de la violence dans les journaux télévisés. Cela permet une identification quasi immédiate avec un jeune garçon aux émotions exacerbées qui n’a rien d’un héros, seulement quelqu’un qui fait ce qu’il a à faire, avec lequel n’importe quel adolescent peut être en empathie. Principe d’identification accentué par le fait que les comédiens commencent à jouer depuis la salle où ils sont assis à notre insu. Ce choix peut parfois sembler gratuit, mais dans ce cas, ça marche.

L a scénographie participe de cette volonté. Un décor dépouillé et symbolique, une scène hérissée de stèles blanches, à la manière d’un cimetière de guerre, d’un dédale, celui du souvenir, ou encore d’un mémorial.

Le dramaturge hollandais Ad de Bont a construit cette pièce de manière chronologique à partir d’un rapport d’Amnesty International. Un texte très réaliste, avec des dates, des faits, des acteurs politiques. La vision qui est proposée de ce conflit en fait ressortir l’universelle absurdité. La guerre engrange toujours de la haine, même si cette haine peut être celle, banale, d’anciens voisins brusquement devenus ennemis malgré eux.

6 avril 1992, la guerre débute avec la déclaration d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. C’est sur son territoire que se déploie cette guerre entre les peuples serbe, croate et bosniaque. Trois ans de conflit. Plus de cent mille morts et deux millions de personnes déplacées.

Christophe Laluque travaille la parole d’un point de vue musical et de manière chorale. Une polyphonie parlée avec laquelle ses comédiens unissent leurs voix dans de déchirants canons. C’est le moyen qu’il utilise pour faire résonner les liens qui unissent les êtres d’une même famille ou d’une communauté et l’empathie qui tend à fondre les individus dans une même entité. Et par ailleurs, le fait que les mots censés être prononcés par l’un ou par l’autre puissent être repris par n’importe lequel des personnages, fait apparaître la mécanique aléatoire de la guerre dans laquelle tous sont pris et dont nous sommes des acteurs potentiels. Il en va de même pour Mirad et aussi pour sa jeune audience.

Christophe Laluque a découvert ce texte il y a une dizaine d’années. Son désir de le mettre en scène aujourd’hui est né du choc de la guerre en Syrie à quoi s’est ajouté un événement atrocement banal advenu dans une petite ville de l’Essonne où la majorité de la population s’est opposée de manière virulente à la volonté du maire d’accueillir des migrants dans un château désaffecté.

Mirad n’a aucune intention de rester un migrant et il retourne chez lui dès qu’il le peut. Son désir n’est pas de s’installer ailleurs, il est bousculé par des évènements sur lesquels il n’a aucune prise. Il est emblématique de cette réalité vécue intérieurement par la plupart des migrants, très loin du fantasme d’une volonté d’invasion que certains peuvent véhiculer et que des politiques pervers agitent à leur profit. Être migrant n’est pas un choix de vie, c’est une situation d’urgence qui nous dépasse. Il en est la démonstration. C’est ce que Christophe Laluque a surtout voulu montrer dans cette pièce et ce but est atteint.

D’un instant l’autre

Mirad, un garçon de Bosnie, vu le 2 juin 2018 au Théâtre Dunois à Paris. Une production Amin Théâtre. Texte  : Ad de Bont (traduction Jan Simoen, l’Arche éditeur). Mise en scène  : Christophe Laluque. Regard extérieur  : Simon Pitaqaj. Avec Robin Francier, Serge Gaborieau, Chantal Lavallée et Celine Liger. Scénographie, lumière  : Franz Laimé. Musique  : Nicolas Guadagno.
Tournée : du 6 au 27 juillet à 14h à Artéphile, 7, rue Bourgneuf à Avignon.

La guerre qui s’est déroulée en Bosnie-Herzégovine a débuté après la proclamation de son indépendance le 6 avril 1992 par l’ex-république de la défunte Yougoslavie de Tito. Le contexte en est la fin de la Guerre froide. Cette guerre opposait les Bosniaques musulmans, les Croates de Bosnie qui voulaient l’indépendance aux Serbes de Bosnie qui n’en voulaient pas. Elle va durer trois années sanglantes, causer plus de cent mille morts et déplacer près de deux millions de personnes. La politique de purification ethnique a eu pour conséquence le déplacement de populations et des vagues de réfugiés. Plus de la moitié de la population fut déplacée.

Deux villes martyres, Srebrenica et Sarajevo, peuplées majoritairement de Musulmans, émergèrent en particulier. Des milices serbes, sous le commandement du tristement célèbre général Ratko Mladic, s’adonnèrent à un carnage sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Durant ces trois ans, les soldats de l’ONU, les Casques bleus, ont tenté de maintenir la paix. En 1995, l’OTAN décide d’intervenir contre les armées serbes. Le conflit s’arrêtera officiellement avec la signature des historiques accords de Dayton, le 14 décembre 1995. Il aboutira au retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur foyer d’origine. La Bosnie d’aujourd’hui est loin du modèle multiculturel d’avant guerre.


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