Tribulations photographiques d’une fille de Champagne

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Tribulations photographiques d’une fille de Champagne

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par claire olivier
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« S’il n’y a pas d’émotion, s’il n’y a pas un choc, si on ne réagit pas à la sensibilité, on ne doit pas prendre de photo. C’est la photo qui nous prend. »
Henri Cartier-Bresson

Ami lecteur, j’anticipe tes commentaires sarcastiques. Un œil goguenard sur mes photos. Un sourire lourd de sous entendus aux lèvres, tu penses ou t’exclames : « Encore une qui croit émouvoir avec ses bidouilleries photographiques campagnardes ! » « Sempiternels couchers de soleil et autres levers du jour. »

« Elle nous fait le coup de la nostalgique de la bonne vieille carte postale. Elle ose les natures mortes préfabriquées, les images soi-disant insolites qu’elle nous met sous le nez comme autant de trophées dénichés par elle seule.  »

« Les petites fleurs au fil des saisons pour citadin en manque de nature en veux-tu en voilà. Ces petits riens du tout, ces soi-disant fragments de poésie du quotidien à la Francis Ponge ( comparaison trop prétentieuse), à la Perec (allusion trop intello ), à la Philippe Delerme (référence trop populaire ) « Y’en a marre. Déjà vu mille fois. Instatruc et facemachin débordent de clichés de ce genre pétris de bonne intention. »

Je te bouche franchement l’opercule pour que tu m’accordes ton attention.

Tu fais fausse route. Je dirais même que tu n’as rien compris à ma démarche. C’est toi qui ne vois pas plus loin que le bout des clichés.

Je ne suis ni niaise ni mièvre ni béate ni poussiéreuse ni quelconque. Je suis d’ailleurs convaincue que personne n’est « quelconque » mais bien quelqu’un lorsqu’il porte son propre regard sur le monde à travers un geste artistique.
Je l’ai expliqué longuement dans une chronique antérieure. Bricoler, « bidouiller », fabriquer de mes mains tout comme m’adonner à la photo m’a permis de me réhabiliter au monde pendant la maladie, durant les soins et fait maintenant partie intégrante de mon quotidien de convalescente plutôt en forme, mais toujours en colère contre un monde qui ne me convient pas. (Depuis mon adolescence, j’aimais déjà beaucoup m’adonner à la peinture de la même façon.)

Quand je photographie je ne prémédite rien. Je me mets dans un état de disponibilité mentale et développe donc mon acuité visuelle.
Je peux alors voir autrement mon environnement. Percevoir au-delà d’une image quotidienne ou un simple objet. Je peux voir avec l’âme.

J’aime et j’ai besoin de voler des images poétiques pour supporter le réel moche, sombre, enfermant, angoissant. J’aime et j’ai besoin de saisir l’insolite pour m’inventer des histoires, couvrir le bruit des infos, fuir la consternation. J’aime et j’ai besoin de ralentir, de m’arrêter devant un petit bout de l’univers. Poser mon regard. Poser mon esprit. Me ressourcer.

Nombre de mes photos sont prises le matin tôt lors de mes longues balades avec Chocolat, notre chien et mes deux voisines. Comparses de marche, de confidences, de galères, de rires, et de discussions échevelées.

Certaines photos témoignent d’un instantané pris sur le vif ici et là. Saisir ce que l’on ne saurait voir est une sorte de manie. Oui, il y a autre chose que la Covidmania dans ma tête.

Plus loin que mon nombril de convalescente révoltée contre le monde néo libéral et apaisée par la photo, je prône le lever de tête du guidon pour tous. Regardons autour de nous cher lecteur. Regardons en silence pour mieux ressentir. Le silence cet absent du monde moderne.

Je transforme et m’approprie sans scrupule le titre de l’exposition d’art brut du musée de Villeneuve d’Ascq en 2010 pour me définir « j’habite poétiquement le monde ».

Plus qu’une marotte ou une posture candide, c’est une philosophie de vie.

Il ne s’agit pas pour uniquement pour moi d’agir en toute liberté telle une autodidacte, mais d’user de la liberté dans un cadre. Je suis « obligée » de regarder autour de moi avant d’user du mode photo de mon téléphone. Étrange contradiction. Une certaine rigueur est de mise pour mettre en forme des idées farfelues, des visions, des images parfois étranges.

Créer, inventer, cafouiller, chercher, expérimenter est devenu un besoin primaire à satisfaire.

Tu penses encore : « Quelle mouche l’a piquée cette foldingo qui se prend pour une artiste ? »
Va donc savoir ! Quelle importance puisque la photo me permet de cheminer, d’aller de l’avant et ainsi d’avancer.
Depuis quelques mois j’en pince pour la photo. Expo des Kasparian au centre du patrimoine arménien de Valence.
Expo Salgado à la Philharmonie. Expo Vivian Maier au Musée du Luxembourg. (Expo qui a fait l’objet d’une de mes chroniques. )
Je me suis plongée dans la street photographie, feuilleté des livres de Sabine Weiss, de Cartier Bresson. Découvert Yvette Troispoux grâce à un ami. Une photographe humaniste méconnue.
Une complète autodidacte qui avait, elle aussi, des choses à dire.
J’ai échangé longuement avec un ami féru de photo animalière. Tout m’intéresse quand il s’agit de cultiver un autre champ.

Lecteur sarcastique, je rétorque à tes commentaires.
Oui, je fais partie des « bâtisseurs chimériques ». L’art brut, celui, des fous, des « outsiders » du microcosme artistique. Je me sens bien dans ce groupe. J’assume mon grain de folie. Je revendique mon innocence créatrice. En revanche je reconnais puiser une inspiration, fort certainement inconsciente, dans tous les gestes artistiques d’autres agités du bocal.
N’est-ce pas ainsi que l’on nourrit son imaginaire ?

Ce qui est certain, c’est que l’appétit vient en mangeant. Plus je découvre plus j’ai envie et besoin de découvrir d’autres univers artistiques ( pas seulement photographiques), d’apprendre par moi-même.

Pour la néophyte que je suis la photo est :
Un mode d’expression entre moi et le monde.
Un outil pour mettre en scène mon environnement.
Un moyen de porter mon propre regard sur mon territoire et lui donner forme. Un endroit pour me réfugier. Un acte créatif dédié au partage. Une lumière puissante pour ouvrir un horizon.

Pour atteindre un état de satiété tout en gardant une indépendance créatrice, je vais apprendre les codes de la photo, mais pas trop.
J’ai déjà demandé un coup de mains à un ami. Passer du téléphone au maniement d’un gros appareil photo qui m’attend dans un coin de la maison. Pourquoi pas suivre un stage ? Mais pas trop sérieux. Pas trop enfermant. Pourquoi ne pas m’adonner au portrait ? Mais pas trop académique. Je vais laisser mijoter ma sauce photo comme j’adapte les recettes de cuisine.

Conserver une forme de liberté, c’est aussi assumer son amateurisme.

Alors tu me demandes, provocateur, si mes photos ont une valeur ?
Marchande, aucune. En revanche elles ont la valeur que je leur donne. Leur richesse est de me rendre confiance en moi-même et dans le monde. Et cela n’a pas de prix.

Je finirai par te dire, si tu me lis encore, que j’ai la ferme intention de les extraire de mon ordinateur pour les accrocher et les exposer aux murs de mon futur bureau au cœur de notre tiers lieu en création. Des photos d’une émotive anonyme devant ce qui nous échappe...

Claire Olivier

https://www.franceculture.fr/emissions/affaire-en-cours/comment-definir-l-art-brut-et-comment-l-exposer

https://abcd-artbrut.net/actualite/kudo-plny/

http://www.oai13.com/la-question-photo/la-photo-peut-elle-etre-un-art-brut/

https://www.franceculture.fr/emissions/les-mardis-de-lexpo/lart-brut-un-art-sans-histoire

https://www.franceculture.fr/oeuvre-aux-frontieres-de-l-art-brut-un-parcours-dans-l-art-des-marges-de-laurent-danchin

https://christianberst.com/adminv2/data/press/review/724/peut-on-parler-de-photographie-brute.pdf

https://www.ledauphine.com/culture-loisirs/2021/06/24/valence-le-photographe-oublie-des-sixties-a-decouvrir-au-centre-du-patrimoine-armenien



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