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This Train I ride : vagabondages féminins




Dans This Train I ride le réalisateur français Arno Bitschy présente le parcours de trois femmes hobos voyageant clandestinement à travers les États-Unis à bord de trains de marchandises. Arno Bitschy y sublime — en le mettant en question — ce mode de locomotion anticonformiste qui contraint ses adeptes à un mode de vie précaire, marginal et solitaire. Ce film interroge avec une grande délicatesse les impacts de ce choix de vie sur les subjectivités des trois protagonistes.

This Train I Ride © Arno Bitschy - Les films du balibari

Ivy, Karen et Christina mènent une existence vagabonde et solitaire, elles sillonnent clandestinement les États Unis à bord de trains industriels. Si d’ordinaire le voyage est souvent déconseillé aux femmes seules, les conditions particulièrement difficiles des itinérances hobo en font une pratique majoritairement masculine. Ce mode d’existence, d’autant plus transgressif que les trois protagonistes sont des femmes, se revendique d’une critique sociale antisystème : radicales, elles refusent le confort d’une vie plus conventionnelle, complice du capitalisme.

This Train I Ride © Arno Bitschy - Les films du balibari

Les trains industriels dépourvus de chaleur, les grincements métalliques des pièces les unes contre les autres et le fracas des locomotives sur les rails, autant d’éléments qui produisent un fort sentiment d’hostilité. Pourtant, en détournant leur usage, les voyageuses font de ces wagons de fer un refuge paradoxal : les trains de marchandises, ainsi subvertis, deviennent les vecteurs d’expériences clandestines au cours desquelles s’épanouit une humanité pleinement consciente d’être en vie, spectatrice des paysages étasuniens qui se déploient sous leurs seuls yeux.

This Train I Ride © Arno Bitschy - Les films du balibari

L’expérience inconfortable du trajet clandestin, permet aux voyageuses d’expérimenter une réceptivité perceptive accrue par l’inconnu et le danger. Elle leur réserve nombre de rencontres et de surprises, aux antipodes de ce quotidien qu’elles ont fui. La rareté de l’expérience ajoute à sa valeur. À mesure qu’elles progressent dans leurs périples, elles prennent confiance en leur capacité à se débrouiller seules. Arno Bitschy sublime avec brio la beauté et les vertus de ces existences marginales, mais il rend également compte de la précarité économique et sociale dans laquelle elles s’inscrivent.

This Train I Ride © Arno Bitschy - Les films du balibari

Le nomadisme contraint les trois femmes à une solitude parfois pesante, qu’interrompt le cinéaste. L’enjeu, pour ce dernier ­— admirablement guidé par les protagonistes — est de comprendre non seulement les parcours des trois femmes, mais aussi leurs codes, qu’il doit aussi mettre en pratique. Si la forme de vagabondage clandestine choisie par les trois voyageuses repose largement sur leur capacité à se rendre invisibles, Arno Bitschy pose sur elles un regard bienveillant, permettant de faire entendre les voix de figures féminines trop peu connues.

This Train I Ride © Arno Bitschy - Les films du balibari

This Train I ride rend visible une pratique du vagabondage investie comme échappatoire au formatage social, et rappelle avec force que d’autres formes de vie — même provisoires — restent possibles. Si la pandémie empêche aujourd’hui le voyage, bien d’autres mécanismes socio-économiques ont avant cela contribué à nous faire consentir aux restrictions ordinaires de nos libertés.


Héloïse Humbert



Prochaine diffusion sur ARTE TV prévue le 4/02/2021

Pour aller plus loin :
L’entretien d’Arno Bitschy avec Tifen Pille pour Radio Prague International
L’entretien d’Arno Bitschy avec Aline Vannier-Sihvola pour Cinéfinn


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