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Tentative de manifeste pour que la « culture » reprenne place dans notre vie politique…

CET APPEL A ÉTÉ PRÉCÉDEMMENT PUBLIÉ SUR MÉDIAPART, DANS LE BLOG DE NICOLAS ROMÉAS
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par Nicolas Romeas
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Jusqu’au dernier mandat de François Mitterrand, la culture a été l’un des piliers de la politique nationale et des programmes des différents partis français. Depuis lors, cet état de fait n’a cessé de se dégrader. Sincèrement ou non, pendant chaque campagne électorale, il était alors inconcevable de ne pas en parler, de ne pas avoir de projet, ne serait-ce qu’en termes de budget d’un Ministère créé en 1959 et dont on a pu à juste titre contester les orientations et certains effets, mais qui faisait au moins exister dans notre pays la réalité politique de ce qu’on considère trop souvent comme un domaine non prioritaire, voire un luxe.

 

Ce ministère a progressivement perdu sa force et sa substance, se voyant accoler le terme creux et ambigu de « communication », subissant la dégradation générale de tous les services publics et perdant son poids budgétaire. Il est aujourd’hui dangereusement affaibli et il disparaîtra peut-être bientôt. Ce phénomène est directement relié à la place que nous sommes capables d’accorder à ce qu’on appelle « culture » dans l’ordre de nos priorités. Il est devenu presque impossible de faire entendre que le sujet est central et qu’aux côtés du combat écologique et des luttes sociales, ces questions, parce qu’elles touchent à l’être humain en tant que tel, sont réellement vitales pour notre avenir. 

Ce dont il est vraiment question aujourd’hui c’est de savoir si nous serons ou non en mesure de résister à l’offensive mondiale néolibérale qui vise à détruire les outils qui permettent de faire exister un être humain digne de ce nom.

Si nous ne réagissons pas à temps, ce désastre annoncé qui mène à ce qu’on appelle transhumanisme, inaugure la fin de la possibilité de se construire et de se développer dans l’échange, hors d’une mécanique financière et marchande où le travail perd son sens et où la consommation est le seul horizon du citoyen. 

Aucun pays du monde ne peut occulter cette question. Si elle est cruciale pour le nôtre, c’est que depuis la Libération, du mouvement de l’éducation populaire à la mise en place du financement public de structures culturelles et artistiques en passant par le régime de l’intermittence, la France a su construire des outils précieux. Plutôt que les laisser se déliter sous l’effet des attaques néolibérales, nous avons le devoir de les défendre et de les proposer aux autres. 

Ces outils sont perfectibles, ils doivent être développés et adaptés au temps. Mais ils constituent une base de travail et un socle de combat : en rendant sa place au symbolique, ils permettent de résister à l’injonction universelle de rentabilité.

Ces outils peuvent être regroupés sous une appellation simple : le service public de l’art et de la culture. Chacun sait que l’ensemble de nos services publics, inventés pour faire vivre des métiers et des activités indispensables à tous dont l’objet n’a rien à voir avec la rentabilité, est menacé de destruction. Mais on ne mesure pas toujours l’importance de ce système de solidarité lorsqu’il touche des éléments dits « culturels ». On perçoit mal le caractère essentiel de ces nappes phréatiques parfois invisibles qui irriguent notre imaginaire commun et nous permettent de développer une sensibilité et une pensée en disposant de langages, de la langue commune aux langages artistiques, qui sont la matière première de notre construction en tant qu’humains.


Il est temps de relancer ce débat. Et avant d’entrer dans le détail de la mise en pratique d’une nouvelle politique culturelle, il faut affirmer qu’il s’agit d’un sujet majeur. Comme le dit et l’écrit très bien la philosophe Marie-José Mondzain, la culture n’est pas un élément parmi d’autres de la vie d’une collectivité humaine, c’est « la condition même d’une vie politique ». Une vie politique digne de ce nom, c’est-à-dire une vie des idées. Une mise en débats publics de différents points de vue, réflexions, aspirations, sur les modalités possibles du vivre ensemble, non une compétition entre rivaux concourant pour une place convoitée en raison du pouvoir qu’elle confère.


Dans tous les domaines, y compris ceux dont il semble évident qu’ils doivent absolument être protégés de ce fléau, de l’art à la psychiatrie en passant par l’enseignement public, l’évaluation quantitative, comme y insiste Roland Gori, prend aujourd’hui le pas sur l’écoute et le dialogue. En un mot sur l’échange humain.

Il faut aujourd’hui réaffirmer l’importance fondamentale des outils qui servent la sensibilité, l’intelligence, le développement de l’esprit critique. C’est par eux que nous n’en seront pas réduits à devenir des machines décérébrées incapables d’appréhender le monde autrement qu’avec des chiffres, tout juste aptes à produire et consommer au profit d’un capitalisme sans foi ni loi.

Ces outils constituent ce qu’on appelle généralement l’art et la « culture », même si l’usage de ce dernier vocable devient de plus en plus difficile, en raison, en particulier, des clivages qu’il impose entre ceux qui « en sont » et les autres. Nous parlerons volontiers d’« outils du symbolique », car cette appellation ouverte englobe des activités très diverses, de la philosophie à l’art brut en passant par la psychanalyse, dont le point commun est que leur mesure ne peut jamais être uniquement quantitative car ils travaillent des valeurs symboliques et ont pour but l’élévation des êtres. Chose qui ne peut s’évaluer avec des chiffres.


Il faudra ensuite s’attaquer aux différents sujets spécifiques dans le détail de leur mise en application démocratique, de l’indispensable régime de l’intermittence à la place de l’art dans les cursus scolaires. Il faudra aussi essayer de comprendre comment et pourquoi ce qui, en matière d’action culturelle et artistique, est négligé car invisible aux yeux des « grands » médias, est indispensable à nos existences communes d’êtres dotés d’une âme.

Mais disons-le d’abord : ces outils et ces enjeux sont largement aussi décisifs que ceux qui concernent notre relation à la nature. Ceux qui les défendent sont aujourd’hui dans la même situation que René Dumont et ses amis en leur temps : leur sujet est fondamental, mais on ne les entend pas encore. On ne leur tendra l’oreille, comme il est d’usage, que lorsque de telles catastrophes auront eu lieu qu’il sera presque trop tard… Et sans doute, car il s’agit d’un combat sémantique, lorsqu’ils auront trouvé le mot juste, comme le fut en son temps celui d’« écologie », qui peut apparaître aux yeux de chacun, du savant au quidam, comme un catalyseur.


Alors il faut s’y coller dès maintenant avec sérieux car il n’y a plus de temps à perdre, en ne se contentant pas de manier des chiffres. Une liaison doit s’opérer avec les militants écologistes sincères, car s’il faut évidemment « sauver la planète », il est préférable qu’elle soit habitée par des êtres dotés d’une langue, d’une pensée, d’une sensibilité et d’un imaginaire, plutôt que par des robots d’apparence humaine.
C’est bien de cela qu’il s’agit, il faut l’affirmer haut et fort. Non seulement d’être plus ou moins cultivés et « éduqués », plus ou moins dotés de capital symbolique, comme l’écrivait Pierre Bourdieu, mais de se battre pour être des humains, dans une période de guerre intense menée contre tout ce qui n’est pas rentable.



Nicolas Roméas



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