Enfin
des cadeaux intelligents !





   




Solidaire et intelligente, donc rebelle (mais… )




Comme l’avait fait il y a plusieurs années l’Appel des appels avec Stephan Chedri et notre ami Roland Gori, qui s’étaient attachés à réunir des luttes trop dispersées dont l’enjeu commun est pourtant bien de construire un contre-modèle de société face à l’ultralibéralisme, cette première université d’été solidaire et rebelle a fait se rejoindre à Grenoble différents mouvements de résistance du jeudi 22 au dimanche 26 août. Une jolie ambiance, des débats d’un excellent niveau. Une université comme on les aime.

Une organisation aux petits oignons à l’initiative d’Attac, du Crid (Centre de recherche et d’information pour le développement) et du réseau Ritimo (Réseau d’information et de documentation pour la solidarité et le développement durable).

Soixante et onze organisateurs locaux et nationaux, douze pays représentés. Pendant cinq jours, plus de deux-mille participants des mouvements sociaux et citoyens ont participé à des dizaines d’activités, avec entre autres : soixante-quatre ateliers, trente-trois modules, onze forums, près de trois cents organisations impliquées, des conférences gesticulées, des jeux de sensibilisation, des balades militantes, des projections, sur le campus et hors campus de l’Université Stendhal de Grenoble. Non, il ne s’agit pas ici d’aligner des chiffres pour le plaisir, mais de montrer l’énergie qu’il a fallu déployer pour réunir ces équipes, produire ces actions et rassembler autant de gens, dans une période aussi décourageante. Alors, le bon côté de cette époque obscure, c’est qu’elle induit, pour que quelque chose ait lieu, l’obligation absolue de se regrouper, de passer par-dessus les éventuelles concurrences, qui, comme on sait n’épargnent pas toujours les mouvements sociaux.

L’heure n’est pas à l’euphorie, évidemment, mais au sérieux, à la réflexion qui prépare minutieusement l’action. Même si le mot « festif » est employé, la fête est grave, aucune victoire éclatante n’est en vue. Il faut faire ce qu’il y a à faire, sans aucune garantie de résultat. Les têtes grisonnantes sont nombreuses et les jeunes gens trop rares. Certes, beaucoup d’entre eux luttent tout au long de l’année pour différentes causes, mais se réunir dans une université au mois d’août n’est peut-être pas leur rêve le plus fou. Pourtant, le simple fait de regrouper toutes ces questions en un même espace-temps produit une efficacité pédagogique évidente.

Cela permet aux jeunes générations, bombardées de divertissements, de commerce ciblé, d’informations brèves et superficielles, sans cesse sollicitées et de moins en moins capables d’attention - mais aussi aux plus vieux qui, si ils ont construit leur chemin, subissent les mêmes attaques -, de résister à cette offensive décervelante en se connectant à une pensée qui relie les choses entre elles. Ce qui est l’unique façon de les comprendre. Une pensée arborescente qui échappe aux cloisonnements, un rapport au monde qui dans les années soixante-dix était résumé par ce slogan omniprésent : tout est politique. Cette réunion nationale autour d’enjeux commun est salutaire. Elle permet de conserver un élan vital collectif dans une période plombante, de se rencontrer, d’éviter la résignation qui menace des petits groupes de militants isolés, cantonnés à un domaine précis face à des pouvoirs démesurés et impitoyables.

Relier entre elles toutes les questions où s’affrontent un rapport au monde qui tend à détruire l’humain et les ressources naturelles, et des points de vue qui s’efforcent dans tous les domaines d’être responsables, diffuser et expliquer ces points de vue, informer sur les actions de résistance à cette destruction, est un travail toujours indispensable de rencontres, d’échange et de transmission. Plus que jamais indispensable, face à l’offensive globale de la pieuvre ultralibérale qui cherche par tous les moyens à enrayer le développement de l’esprit critique, et même, pour ce qui est des nouvelles générations, à en empêcher l’éclosion.

Du boycott des produits fabriqués par Israël dans les territoires occupés de Palestine (débat nourri avec finesse par l’économiste israélien Shir Hever) jusqu’aux désastres écologiques qui sont le résultat d’une surexploitation des ressources naturelles produite par l’obsession aveugle de la rentabilité, en passant par les luttes syndicales et les divers combats pour l’acceptation de l’autre, de la décolonisation, des minorités ethniques et sexuelles aux migrants, cette mise en perspective de phénomènes apparemment distincts, permet de dessiner la cohérence d’un système mondial ultralibéral qui renforce son emprise sur tous les domaines de nos existences. Et donc d’imaginer des points de convergence à toutes les résistances possibles.

Le ministre du bonheur de la contemplation et de l’exploration des petits monde devant son stand à l’université Stendhal de Grenoble

Réunir toutes ces questions, les faire interagir d’un débat l’autre, réarme la pensée et permet de répliquer aux arguments fallacieux et intéressés des lobbyistes et autres politiciens sans vergogne qui ne peuvent argumenter qu’en resserrant la logique de leur propos autour d’une thématique étroite : « préoccupez-vous uniquement de ce problème précis, surtout ne regardez pas ce qu’il y a autour ». Toutes les questions, vraiment ? Non. Dans les mouvements de la vraie gauche, l’art et ce qu’on nomme la culture sont malheureusement toujours négligés, comme dans le reste de la société. Une belle batucada, quelques pièces édifiantes, une aimable performance et un concert de musique, même si l’éducation populaire y est heureusement présente, est-ce une présence assez puissante de l’art dans le combat global ? Cela suffit-il pour manifester l’importance du geste artistique et de ce qu’on appelle la culture en tant qu’enjeux majeurs de ces luttes pour l’humain ? Ces éléments absolument fondamentaux que nous avons à défendre, en rappelant leur véritable usage et leur efficacité réelle face à l’entreprise de déshumanisation en cours.

Shir Hever en débat à l’université Stendhal de Grenoble

« Le gouvernement, rappelait Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, en ouverture, a enclenché une transformation profonde de la société, avec un marketing qui cache de moins en moins une politique néolibérale, autoritaire et conservatrice…. Emmanuel Macron joue sur un effet de sidération. Mais il y a eu beaucoup de mobilisations, même si elles n’ont pas réussi à freiner sa politique ».

Cette stratégie du choc depuis longtemps dénoncée et analysée par la valeureuse Naomi Klein, est l’aboutissement final d’une longue période de soumission progressive des différents gouvernements, notamment français, aux intérêts de la finance. Tout ça n’est pas une nouveauté et était hautement prévisible. Et cette sidération, comme cela fut rappelé lors du forum « Quelle stratégie des mouvements sociaux face au pouvoir autoritaire et néolibéral ? » n’a pu fonctionner que grâce à l’épouvantail d’une extrême-droite savamment instrumentalisée.

BatucaVI tet au jardin de ville de Grenoble

J’ai été passionné par ces débats instructifs et intelligents et heureux de leur excellente tenue. Cependant, plus de deux décennies après la création d’une revue que j’ai animée, revue qui n’a cessé de rappeler partout où elle pouvait être entendue, que la fonction de l’art est essentiellement politique, le même manque lancinant me taraude.

Il serait enfin temps peut-être de rappeler que dans cette histoire, notre Histoire, l’histoire humaine, les enjeux culturels sont majeurs. Qui voudra enfin faire entrer avec force dans le débat politique le rôle du geste artistique en tant que tel, dans ces forums, au-delà de performances et de petites pièces engagées, d’une batucada et d’un concert ? Il y a l’artivisme, bien sûr. C’est très intéressant et nous défendons ces actions. Oui. Mais lorsqu’il ne se vend pas à l’industrie et au commerce, et qu’il n’est pas le privilège d’une seule élite, l’art n’est-il pas une action politique en soi ? A-t-il vraiment besoin de se dire « engagé » et de s’inscrire dans une lutte politique explicite pour remplir son véritable rôle, qui est de faire bouger la société humaine en la mettant face à ses contradictions ? Qui affirmera l’importance centrale de la lutte de l’univers du symbolique contre celui de la quantité pour l’avènement d’un monde propice à un humain doté d’imaginaire ? Lorsque nous aurons collectivement admis que ces enjeux, ceux des langages, sont aussi fondamentaux que ce que l’on nomme « social » et « écologie », et au fond les englobent dans la mesure où il s’agit de notre regard et donc de ses outils, nous n’aurons plus seulement la planète et l’égalité des humains à défendre. Ce que nous devrons défendre sera bien plus central encore. Nous aurons à défendre notre humanité.

Nicolas Roméas

Pour en savoir plus sur les rendez-vous de la rentrée :https://ue2018.org/
https://www.ritimo.org/
https://www.crid.asso.fr/


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