L’affaire PY est épatante…

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L’affaire PY est épatante…

Il y a en France un « tiers théâtre »...
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par Nicolas Romeas
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L’affaire PY est épatante, car elle permet de bien éclairer les mœurs du Théâtre Public. Il est curieux de voir le silence qui l’entoure. C’est normal, parce que nous sommes tous en lien avec le Ministère de la culture qui reste une manne nourricière pour pas mal de monde, alors seuls les anciens, qui n ‘attendent plus de nomination osent quelques critiques contestataires.

Mais on se demande si les partis socialistes ou communistes existent encore, et on devine qu’une fois de plus ils vont faire campagne en faisant l’impasse sur la culture considérant que c’est un « truc » à perdre des voix.
J’en profite, le théâtre de l’Unité va recevoir le prix SACD des arts de la rue, je me dis qu’au moins peut –être, ce prix peut servir à être écouté quelques minutes.
J’ai vu passer depuis 1971 des trains entiers de ministres de la culture. De Lang je me suis promis de ne jamais dire le moindre mal, un ministre qui tient ses promesses, on ne le critique pas. Ensuite à chaque nomination, on descendait d’un cran, avec Albanel on se disait qu’on n’irait pas plus bas, mais voilà qu’on la regrette.
Maintenant il ne s’agit plus de faire de la bobologie, le théâtre public a besoin d’une chirurgie radicale.
Je pense et j’estime que le réseau « Le Pillouer » ou réseau « Syndéac » est moribond.
Les publics ne se renouvellent plus, les systèmes d’abonnements sont périmés, les soirées y sont mortifères. Or les infrastructures ont de la valeur, il y a de l’argent qui circule, ce qui manque ce sont les idées. D’où cette invention du conseil national de la création qui aurait été une sorte de « machine à innover » de ce réseau fatigué.
Le problème, c’est que tout ce que proposaient ces innovateurs existait déjà en dehors de l’institution. Le problème, c’est qu’un vrai projet culturel pousse avec la même lenteur qu’une plante.
Donc ce conseil national a pris la bonne résolution, arrêter les frais.

Il y a en France un « tiers théâtre » qui est inventif, énergique, conquérant, qui laboure et fait des miracles. C’est un tissu associatif, un riche humus formé de compagnies, de lieux alternatifs, de friches urbaines, d’expériences hors les murs. Il y en a des milliers sur le territoire français. Un certain Duffour, secrétaire d’Etat avait décidé d’en faire l’inventaire et y avait deviné un certain avenir de la culture.
Mais Tasca puis la droite -Aillagon, se sont empressés d’oublier cette richesse-là.
Ces « nouveaux territoires de l’Art » comme on les avait appelés, oeuvrent dans l’ombre. Jamais une ligne dans Télérama, ou dans le Monde, ce sont des artistes et des lieux qui n’ont aucun budget de communication. Donc c’est comme s’ils n’existaient pas.
Seule la revue Cassandre/Horschamp relate quelques-une des ces réalisations.
Donc la mode est aux nominations. Manifestement, c’est une catastrophe. Et cela devient de pire en pire. Les moins disants culturels emportent tous les marchés, puisque la qualité recherchée par le ministère et les villes, c’est transparence, conformisme et absence de projet.

Alors me direz –vous, pourquoi avez vous été nommés, vous Jacques Livchine et Hervée de Lafond à la tête d’une scène nationale, celle de Montbéliard que vous avez appelée « centre d’art et de plaisanterie » ? Je réponds, c’était il y a 20 ans, c’était encore Lang et Faivre d’Arcier à la tête du théâtre en France. Depuis tout s’est détérioré.
Il faut tout repenser. L’intelligence du théâtre est toujours collective. Or tous ceux qui ont le désir et l’envie de se présenter collectivement sont invariablement éliminés.

Les ancêtres de la décentralisation inventaient leurs lieux, recrutaient leurs équipes, le militantisme y était notoire.
Le Syndéac a transformé les lieux culturels en entreprises, avec un patron et des employés, et des conventions collectives. C’est pas trop bon pour l’Art ce type d’organisation.
La lutte des classes est remplacée par la lutte des places. Bizarrement cela ressemble aux primaires du parti socialiste. On essaye de se glisser dans la short list. Certains se présentent une dizaine de fois, ils acquièrent la compétence du bon candidat, propre sur lui, et s’adaptent au désir de l’embaucheur.

J’aime dire qu’un poète comme Artaud n’aurait eu aucun succès auprès de nos Dracs. On lui aurait demandé son projet A 4 !
Ayant dirigé une scène nationale avec Hervée de Lafond, pendant neuf ans, je sais à quel point c’est un outil remarquable à condition de le piloter avec intrépidité.
Notre premier mot d’ordre était : « il ne s’agit pas de remplir le théâtre de Montbéliard mais de remplir de théâtre Montbéliard ».
Et nous y avons inventé mille et une fêtes, la fête du Malheur, les Sardanapales, le réveillon des boulons, le théâtre qui décoiffe, les samedis piétons, la riposte des exclus etc.
Nous nous adressions non pas à un public de théâtre, mais à la ville toute entière. Alors évidemment, nous étions loin des directeurs-programmateurs d’aujourd’hui.
Ce n’est pas très élégant de se mettre en avant comme je le fais, mais il y a un tel potentiel en matière de culture en France qu’on a l’impression d’assister à un assassinat.

Traversez la Manche, allez voir le British National theater, qui lui n’a pas honte d’inviter du théâtre de rue.
La frilosité est mauvaise conseillère. L’Art, c’est le risque, et il y a encore quantité de zones vierges, et à Montbéliard, nous avions décidé de démissionner tous les ans, pour ne pas nous installer dans le confort financier qui nous était offert.
Au bout de neuf ans, considérant que nous avions fait le tour de ce qui était possible de faire, nous sommes partis sans attendre une fin de contrat.
Bref, il faut garder l’espoir que ces présidentielles vont être l’occasion d’un grand remue méninges qui mettra un point final au système castique du théâtre public d’aujourd’hui.

Ce n’est surtout pas d’un Grenelle de la culture, d’une loi cadre, d’une grande messe ou d’un second entretien de Valois, surtout pas de ces anesthésiants dont nous avons besoin.

Il faut simplement avoir le courage de nommer des équipes qui ne considèrent pas la culture comme de la consommation de spectacles et la recherche d’abonnés, mais comme un combat, comme une guérilla, comme une bataille avec les armes de l’esprit, des équipes persuadées que le peuple peut se passer de théâtre, mais que le théâtre ne peut pas se passer du peuple, et que l’Art n’aime pas trop les lits que l’on fait pour lui.

Jacques Livchine
Metteur en songes
Prix SACD 2011



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